Vous a-t-on vraiment tout dit à propos de l’autisme ?

C’est dans un but de partager ma vision de l’autisme que je vous propose ici la lecture de cet article qui s’intitule:

Vous a-t-on vraiment tout dit à propos de l’autisme ?

Aujourd’hui, 2 avril, journée de sensibilisation à l’autisme. Normal d’écrire à ce sujet, me direz-vous. Ici, je suis celle qui écris et vous lecteurs, êtes ceux qui mettez en branle le processus de lire parce que vous êtes curieux de cet article ou parce que la cause vous interpelle à votre façon. Vous serez peut-être de la partie en faisant briller en bleu une lumière ou vous aurez possiblement une pensée pour un enfant, une personne ou une famille en particulier aux prises avec l’autisme ou pour l’autisme en général. Mais ensuite, que ferez-vous demain à propos de cette cause ?

Comme la plupart des gens, vous tournerez possiblement une autre page de votre journal ou un autre chapitre du livre de votre vie et vous retournerez paisiblement à votre routine. Rien de plus, rien de moins, comme à l’habitude. Pourquoi ? Parce que l’autisme ne fait pas partie de votre vie. L’autisme n’a pas cogné à votre porte pour s’installer chez vous et chavirer votre quotidien, vos habitudes, ni votre être. L’autisme pour vous est une autre réalité ou un autre monde. Je n’en veux à personne ici, mais si demain ou le mois prochain cette cause sera vite oubliée, je crois profondément que c’est aussi parce qu’on ne vous a pas tout dit à propos de l’autisme.

Bien sûr, vous savez certainement que cette condition se vit difficilement. Les journées d’une personne autiste ou d’une famille aux prises avec l’autisme ne sont pas de tout repos. Il faut souvent user de stratégies, d’imagination, de patience, pour traverser une simple journée. Et chaque jour qui se lève, la même vie reprend souvent avec la même misère que la veille comme une roue incessante, un tourbillon ou un jeu de « Tetris » compliqué à n’en plus finir qui se présente incessamment du matin au soir. Mais comme la plupart des gens qui ne l’ont peut-être pas vécu, mais qui l’ont certes entendu, vous savez probablement tout ça.

Comme la plupart des gens, vous êtes peut-être au courant également que les besoins dans l’autisme sont grands et nombreux. Quand l’autisme se pointe, il n’y a pas seulement qu’un, deux ou trois besoins qui arrivent en même temps, non. Il y a souvent une multitude de besoins qui se révèlent d’un coup. Il y en a plusieurs et ils sont variables et différents pour chaque personne et chaque famille ce qui peut complexifier le quotidien. Certains diraient même qu’il y en a trop.

D’ailleurs, les connaissez-vous vraiment ces besoins ? Que ce soit pour les familles, les personnes ou les enfants autistes, on a besoin de ressources financières, humaines et matérielles ; on a besoin d’être soutenu, écouté, accompagné et outillé. Les familles ont souvent besoin de répit, de plus de temps, de plus de patience et de plus d’énergie pour s’organiser. Les personnes ou les enfants autistes ont besoin d’être logés, nourris, scolarisés et enseignés. Ils ont besoin de sécurité, de confort, de stabilité et besoin d’être acceptés, d’être entourés, d’être aimés. Et ici, je ne fais que nommer des besoins essentiels qui devraient normalement être répondus, car la liste est encore si longue.

Malencontreusement, le point important ici que l’on ne publicise pas ou précisément qu’on ne dit pas haut et fort et c’est que justement tous ces besoins on n’y répond pas, ou du moins, on n’y répond pas toujours. Soit on y répond en partie, dans les urgences extrêmes ou très longtemps après que l’on ait demandé, soit on y répond pas de la bonne manière ou pas à la hauteur de ce que cela devrait être, soit on y répond en troquant ou en offrant un autre service dont on n’a pas vraiment besoin. Bref, en général dans l’autisme, c’est un casse-tête de demander et de recevoir, car le système ne répond pas trop souvent ni trop de la bonne façon, car évidemment on doit se « qualifier » et cela requiert du temps. Alors en général, les multiples besoins des personnes autistes et des familles ne sont pas répondus comme ils le devraient.

Pourquoi les besoins ne sont-ils pas répondus à la hauteur de ce qu’ils devraient ? Je suis d’avis que c’est parce que nous vivons dans un monde où tout est calculé et que tous ont adhéré à une norme sociale pour vivre dans ce monde, l’argent. De nos jours, pour répondre à un besoin, on ne passe plus par les qualités humaines pour répondre d’abord aux besoins, pour contribuer ou pour aider, mais bien par la calculatrice qui dicte la règle. En d’autres mots, on passe par le système de l’argent pour établir quand, où et comment les besoins seront répondus. Si les chiffres sont bons, les gens dans l’autisme peuvent recevoir de l’aide (mais dans les faits les chiffres ne sont jamais assez bons). S’ils sont moins bons, ils doivent patienter à leur tour. Si les calculs sont incertains, voire désastreux, on doit prendre son mal en patience, faire de son mieux seul et fort possiblement désespérer, ce qui est plutôt la norme aujourd’hui. Mais j’imagine ici qu’à votre façon, vous savez déjà tout ça.

Malheureusement, comme vous vous en doutez certainement aussi, les autistes et les familles se contentent ainsi du peu qu’ils reçoivent. Mais également, devenus des dossiers ou des numéros sur des listes, bon nombre acceptent ce « si peu », car ils sont occupés ailleurs : ils essaient tant bien que mal de survivre dans l’autisme, car ce sont eux qui écopent. Bon nombre de familles et d’autistes, à force de pallier et de compenser ces besoins non répondus, deviennent ainsi épuisées. En effet, et ce que l’on ne vous a peut-être pas dit à propos de cette condition, c’est que l’autisme peut véritablement et littéralement vous vider d’énergie quand elle s’installe chez vous, et cela tant pour la personne autiste que les familles. Alors les gens survivent, font de leur mieux avec le si peu d’énergie qui leur reste, car ils sont en peu de temps – mais pour longtemps – précipités dans cet « autre monde » où ne répond pas trop aux besoins.

Mais ce qui fait que c’est autant laborieux, pénible et souffrant que de vivre l’autisme, et cela, que l’on soit autiste ou parent, c’est qu’en plus que ces besoins ne soient pas répondus entièrement, de la bonne manière, ni au bon temps et qu’ils soient vécus en mode survie, ces besoins sont la plupart du temps accompagnés de détresse. Pourquoi ? Parce que les besoins sont multiples et grands, qu’ils pèsent lourd et lorsqu’ils ne sont pas répondus convenablement, ils peuvent bousculer complètement votre vie et devenir une menace. Et à long terme et à répétition, comme cela se produit dans l’autisme, cela se répercute négativement sur des situations et des conditions de vie dites normales. Ne pensez plus à aller à l’épicerie comme à l’habitude, à faire une sortie sans tracas pour vous amuser ou à aller travailler calmement et paisiblement. Non. Ces besoins non répondus vous suivent incessamment partout, dans plusieurs sphères du quotidien, causent du stress et de la détresse et de par leur ampleur, peuvent facilement et très vite faire basculer le quotidien des gens en drame humain. J’aurais certes besoin ici d’un grand tableau pour vous le démontrer, mais véritablement, en tous points, entre l’autisme, les besoins non répondus et la détresse il y a une ligne directe qui mène au drame humain.

En vérité, c’est ce que vivent bon nombre de familles et d’autistes quand l’autisme arrive dans leur vie. Pensons ici aux problèmes à répétition, à la scolarisation défaillante, à l’éclatement des familles, à l’isolement, à la précarité sous plusieurs formes, à la monoparentalité, à la maladie mentale, à la violence et j’en passe. Mais le drame humain, la détresse et la souffrance, parce que c’est tabou, incompris, dérangeant, voire choquant, on n’en parle pas, on ne le dit pas ouvertement. Ça reste caché. Et dans l’autisme, on ne vous l’a probablement pas dit, bon nombre d’enfants, de personnes autistes ainsi que leurs familles, au lieu d’étaler ces difficultés, mais aussi épuisés, préfèrent se retirer et vivre reclus. D’ailleurs très peu osent dévoiler ce qu’ils vivent profondément, dans leurs entrailles, quand l’autisme cogne à leur porte. Bon nombre de gens portent cette souffrance dans leur intérieur. Je le sais, car j’ai vécu à ma façon ce drame humain et j’en ai vu d’autres autour de moi le vivre.

Et le pire dans tout ça, c’est que bon nombre de gens autour de ceux qui vivent l’autisme, comme la plupart des gens extérieurs à l’autisme, ne perçoivent que la pointe de l’iceberg de cette souffrance. Alors ils banalisent cette condition. Ils en font fit. Ils retournent paisiblement à leur vie chaque fois qu’ils croisent l’autisme sur leur chemin parce que très peu comprennent l’autisme, ils ne l’ont pas vécu. Alors de l’extérieur, la plupart des gens n’y voient rien de trop apparent qui cloche dans ce « monde ». Ou du moins, ils y voient peut-être un monde inconnu, comme un désert vide, sans intérêt.

Mais finalement, à bien y penser, ces gens ont peut-être raison : parce que l’autisme c’est une sorte de Tiers-Monde quand on y est confronté. On ne peut pas vraiment s’en sortir quand on n’a pas d’aide et de direction. Les besoins sont ultimes et criants et toutes les personnes qui sont précipitées dans ce désert ont soif qu’on y réponde. Mais comme un mirage, on leur laisse souvent miroiter ou présager qu’un jour, on répondra à cette souffrance ou à ces besoins, mais ce ne sont souvent que des illusions.

 

Cet article est également paru le 2 avril 2016 sur le Huffington Post France