L’AUTISME, un combat pas comme les autres

C’est dans un but de partager ma vision de l’autisme que je vous propose ici la lecture de cet article qui s’intitule

 L’AUTISME, un combat pas comme les autres

Auriez-vous cru, en tant que parents d’enfants autistes, et la plupart du temps en tant que mère, que le stress vécu chez les mères d’enfants autistes était comparable à celui vécu par les soldats à la guerre ? C’est pourtant ce qui a été révélé par une étude publiée par Marsha Mailick Seltzer de l’Université de  Wisconsin-Madison aux États-Unis.

De mon côté, je ne suis aucunement surprise de ce résultat de recherche. Bien que de vivre avec un enfant autiste ne soit pas vécu de la même manière par tous les parents ou les mères, ceux qui le vivent ou l’ont vécu consciemment ou inconsciemment comme un soldat, pourront aussi le confirmer.

Pour ma part, en tant que mère qui a vécu ce combat à la façon d’un soldat, c’est d’ailleurs la façon dont je l’ai décrit à plusieurs reprises dans mon livre Au-delà des limites de l’autisme avant même de connaître cette étude, je peux confirmer que le stress vécu au quotidien avec un enfant autiste est un traumatisme équivalent à celui vécu par un soldat à la guerre. Et quant à moi, certaines fois, je crois même qu’il est pire que celui d’un soldat.

C’est pourquoi dans cet article je vous ferai donc part, toujours selon ma vision et selon mon expérience de vie, des points communs vécus entre les stress des parents d’enfant autiste et ceux des soldats à la guerre pour montrer l’ampleur de l’autisme et pour mieux faire comprendre cette condition. Plus précisément, j’aborderai l’autisme vécu par le parent ou souvent la mère comme un traumatisme − sujet tabou ici −, car bien que certains vivent plus facilement cette condition, l’autisme est un combat pas comme les autres qui marque à vie.

D’abord, quand notre enfant vit de nombreuses difficultés et que l’on aboutit finalement à un diagnostic d’autisme, on entre nécessairement dans un terrain inconnu. De nouvelles informations arrivent, de nouveaux mots, de nouvelles façons d’agir, de penser et de se comporter se mettent en place pour soi-disant aider l’enfant. Déjà, on peut comparer cette réalité du parent à celle du soldat qui débarque dans un nouveau pays pour accomplir une mission : le parent doit vivre avec cette réalité et s’adapter. S’adapter est souvent le mot d’ordre dans le monde de l’autisme que l’on nous lance à gauche et à droite pour survivre, exactement comme le soldat doit s’adapter aux mœurs dans un autre pays en suivant les règles pour sa survie, sinon, il meurt.

Parlant d’adaptation, en tant que parent d’enfant autiste, il est souvent question d’appliquer des stratégies pour arriver à des buts précis pour faire cesser des comportements ou en amener d’autres plus convenables. Il en est de même pour le soldat qui doit lui aussi arriver à des buts précis en passant par établir des plans et des stratégies d’attaque. Sur la route, tant pour les parents que pour les soldats, les défis sont grands, laborieux et demandent beaucoup de courage pour arriver à destination vers ces objectifs, ces buts ou ces missions. Malheureusement, pour n’obtenir souvent que bien peu en bout de ligne, beaucoup de temps, d’efforts, de patience et d’énergie sont souvent dépensés et gaspillés pour se rendre à ces buts ultimes.

Ici, je consens, la vie du parent n’est pas en jeu au même titre que le soldat qui lui peut mourir subitement s’il fait un faux pas. Mais le parent d’enfant autiste, quant à lui, n’a pas de date de fin pour sa mission contrairement au soldat qui part au loin et revient un jour. Le parent, lui, doit tenir jusqu’au bout, c’est-à-dire tant que l’enfant est en vie ; on parle ici d’une mission qui dure des années, voire une vie. Et à la longue, sur les mois, les années, c’est ce qui tue à petit feu. Alors oui, véritablement, tout comme les soldats, la vie des parents d’enfants autistes est en jeu, d’un point de vue différent, certes, mais la vie est en jeu, surtout que le parent a la responsabilité de faire de son mieux sur un terrain difficile, pas toujours clair, où les secours se font rares et où l’enfer existe parfois. Bien sûr, encore une fois, c’est ce que vit le soldat qui lui aussi est propulsé comme le parent dans des zones hors de contrôle certaines fois où il n’y a plus d’espoir possible.

Et c’est ici à plusieurs sens, car si on va plus loin dans ce comparatif entre les parents d’enfants autistes et les soldats, il est aussi facile de voir que, tout comme les soldats, bon nombre de parents se sentent des plus démunis lorsque l’aide ne vient pas. La détresse, le désespoir, les problèmes, le stress sont présents et sont tout à l’opposé de l’espoir de s’en sortir. Cela ne vous fait-il pas penser à certains soldats qui sont parfois laissés pour compte sur les champs de bataille ou à des familles qui sont laissées dans le néant et ne sont pas aidées ? Cette détresse ou ce massacre qui se vit sur un terrain hasardeux et cahoteux tant pour le soldat que le parent est la même. De la détresse, c’est de la détresse !

Au moment d’écrire ces lignes, j’entends des gens se dire dans leur tête : « Mais qu’est-ce qui est si grave que de vivre avec des enfants autistes ? Ces rapprochements et ces comparaisons, en quoi, c’est comme les soldats, il ne s’agit que d’enfants après tout et pas de guerre ?  » Et bien justement ici, tout comme la guerre et l’autisme sont banalisés ,la réponse à cette question, et ce qui est grave et qui cause le traumatisme, c’est l’intensité du stress vécu intérieurement. L’intensité du stress qui ne se voit pas, mais qui se vit. L’intensité du stress qui est anormalement élevée, qui dure sur une longue période et qui cause le traumatisme.

Qu’on le veuille ou non, devant des crises qui sortent de nulle part, des comportements qui dérangent ou qui sont typiquement anormaux, devant des incompréhensions de toutes sortes ou devant des problèmes à répétition, en tant que parent, on se croirait littéralement sur un terrain de mines prêtes à exploser avec un enfant autiste. Alors, l’intensité du stress est là en permanence dans le quotidien. Elle est mesurable et elle est au même titre que le soldat au combat  qui lui, a par contre volontairement choisi de s’enrôler, contrairement au parent qui vit cette réalité de façon disproportionnée, encore plus intensément, émotivement, car il n’a pas été préparé, il n’a pas choisi consciemment cette réalité.

Certaines fois, comme le soldat, même si le parent voudrait la facilité, même s’il voudrait dormir, même s’il voudrait la paix, l’intensité du stress monte en flèche à tout moment et peut se maintenir sur de longues périodes. Dans le concret, tant le parent que le soldat, ils perdent continuellement leurs repères, ils sont pour la plupart mis à l’épreuve, ils sont sans cesse confrontés dans leurs concepts, leurs croyances et leurs habitudes, ils sont constamment sollicités à dépasser leurs limites. Ils n’ont habituellement pas le contrôle sur les événements et ils sont pratiquement toujours en mode survie. Alors bien évidemment, que de vivre à répétition cette intensité de stress qui n’en finit plus, celle qui se vit à chaque instant et qui peut attaquer vivement le parent ou le soldat, elle finit tout simplement par user, blesser, meurtrir.

Qu’on le veuille ou non, l’autisme et la guerre ce n’est pas la normalité ; il faut combattre, il faut faire face ou périr. Pour le soldat c’est combattre l’ennemi, combattre les opposants, combattre les méchants. Pour le parent, c’est combattre le système − ses injustices, ses défaillances, ses contradictions−, les tabous, les jugements, les problèmes, combattre pour le mieux de l’enfant, combattre pour garder un semblant de vie et combattre même cette condition chez son propre enfant. Et ne nous cachons pas la tête dans le sable ici, à force de combattre, des soldats meurent tout comme certains parents se meurent intérieurement.

Nous n’avons qu’à penser à la santé mentale des parents d’enfants autistes qui est mise à rude épreuve, surtout celle des mères qui, par la force des choses, sont celles qui sont le plus souvent avec les enfants, de la même façon que la santé mentale des soldats est aussi mise à l’épreuve. Certains voient le défi à combattre, j’ai moi-même eu ce défi, mais d’autres non. Ils ne sont pas en mesure de prendre tout ce stress, cette intensité. Au contact de ce combat, de nombreux problèmes s’installent tant pour le soldat que le parent qui veut le meilleur pour l’enfant : l’hypervigilance, la nervosité, les peurs, l’anxiété, la dépression, l’épuisement, la tension, le découragement et j’en passe. Nécessairement aussi, devant tant de difficultés, comme je l’ai mentionné, parents ou soldats tombent au combat. Nous n’avons qu’à penser ici aux nombreux parents qui sont atterrés parce qu’ils ont baissé les bras devant ce combat qui est une trop grosse charge à supporter.

Toute cette intensité qui cause le traumatisme est sans parler des deuils qui sont autant vécus par le parent que par le soldat. Dans le concret, ils ne sont pas tout à fait les mêmes, mais un deuil, c’est un deuil. Et pour les combattants, tant pour les parents que les soldats, c’est une série de deuils à répétition. C’est ce qui est marquant et traumatisant : voir la mort ou la fin de quelque chose sous tous ses angles et à répétition, ce n’est pas la joie ni la facilité… C’est plutôt vivre l’opposé.

Pensons par exemple au soldat qui voit parfois certains collègues mourir sur le terrain ou d’autres s’enlever la vie, qui est souvent en contact direct avec la mort sur le champ de bataille et qui vit aussi des deuils plus profonds sur la nature humaine lorsqu’il voit des atrocités, de la violence ou des injustices se produire. Pensons également au parent d’enfant autiste qui vit aussi des deuils à répétition : le deuil d’une vie normale, le deuil de l’enfant qui accuse des retards de développement ou qui, à chaque instant, montre qu’il n’est pas normal, le deuil des services et de l’aide qui ne viennent pas, le deuil de l’entourage qui s’estompe graduellement, et j’en passe…

Sachez que je pourrais continuer encore et encore en vous exposant les micros détails pour montrer que les parents d’enfants autistes et les soldats vivent les mêmes réalités. Je pourrais aussi vous parler de l’après-guerre, en vous disant par exemple que les soldats vivent des chocs de réalité en revenant dans leur pays en voyant l’insouciance et l’inconscience chez les gens qui les entourent… Et, que ce choc de réalité est le même pour les parents d’enfant autiste qui sont confrontés à leur entourage ou cette société qui ne comprend pas l’autisme et qui ne les soutient pas ni ne les comprend… Et que de ces chocs de réalité, tant pour l’un que pour l’autre, s’ensuivent la dépression, l’isolement, la misère intérieure, la souffrance…

Mais, il reste un point important que je dois souligner et qui distingue le parent du soldat et qui fait, selon moi, que le parent vit un traumatisme encore plus grand que le soldat. Ce point, cette précision qui fait toute la différence, c’est que les parents d’enfants autistes, et plus particulièrement les mères d’enfants autistes, sont des héros et des héroïnes  oubliés. Chaque jour, chaque instant, chaque seconde, ces parents-soldats donnent leur vie pour arriver tant bien que mal à donner le meilleur à leurs enfants. Contrairement aux soldats qui reviennent de leur mission et qui sont la plupart du temps attendus à bras ouverts, les parents d’enfants autistes sont seuls au monde. Ils sont laissés pour compte, incompris, vulnérables et ne reçoivent jamais de médailles. Ils sont les combattants oubliés par les gouvernements, le système, les familles, ils ne reçoivent pas de fond de pension et ils ne bénéficient pas d’aide pour anciens combattants.

C’est vraiment une triste réalité que de laisser mourir une nation de parents qui ont du courage et de la volonté parce que le système dans lequel nous vivons investit des sommes d’argent colossales pour avoir des armées qui luttent pour faire la guerre, et ceci, pendant que des parents d’enfants autistes luttent péniblement pour le bien-être de leurs enfants car ils sont des héros et des héroïnes oubliés. C’est vraiment déplorable, car ces hommes et ces femmes ont besoin d’aide sous toutes ses formes, de soutien, d’énergie, d’argent, de s’exprimer, d’être écoutés, d’être outillés, d’être appuyés… Mais par manque de ressource et par amour pour leur patrie, ici leurs enfants, ils se donnent mer et monde pour ne pas tomber au combat en se servant de leur meilleur bouclier, l’amour, pour avancer.